Notre dîner au restaurant “Maître”, une étoile Michelin à Cologne/Köln (Allemagne), octobre 2021.

Tout avait pourtant bien commencé !

À notre arrivée, nous avons tout de suite été pris en charge et conduits dans une salle séparée du restaurant principal “Landhaus Kuckuck”, dédiée au “Maître”, le deuxième restaurant du chef Erhard Schäfer.

Le décor nous sembla un peu dépassé avec une moquette verte à motifs et une décoration datant des années 90. Nous avions pris place à une table dressée pour 3 couverts et qui devait mesurer environ 4 mètres de diamètre. Pour les 3 personnes que nous étions, à peine assis nous nous sentions un peu perdus et il fallut élever la voix pour s’entretenir à quelques mètres les uns des autres. Nous décidions donc de n’occuper qu’une moitié de la table, qui pour trois, était largement suffisante. Le service replaça les couverts alors que nous nous étions rapprochés avec nos chaises. Le tout sous le regard des autres convives assez amusés par cette farandole.

Une fois cette rectification effectuée, le service pu commencer. Une chorégraphie très au point qui fit défiler l’apéritif, les amuse- bouches, le menu et la carte des vins dans un rythme très prometteur. Nous étions venus avec un appétit d’ogre et décidions de nous lancer sur un menu très fourni avec 7 plats de cuisine traditionnelle française. Un enchaînement de plats gastronomiques comprenant cuisses de grenouille, quenelles de brochet, ris de veau sans oublier le tournedos Rossini. Pour reprendre l’expression d’un acteur connu : “du lourd” ! À ce moment-là nous n’imaginions pas aussi bien dire.

Peut-être un détail, mais au fil des plats servis, la musique d’ambiance assez rythmée et un peu forte à mon goût, se transforma soudain en un cocktail sonore absolument inaudible. À tel point que nous devions en informer le personnel qui proposa d’appuyer sur la touche “next” du lecteur CD tout en précisant qu’il n’était pas possible de changer de musique d’ambiance. Ceci dit, après 5 minutes de silence qui a fait du bien, une musique plus appropriée se fit entendre.

Peu à peu nous arrivions à la moitié des plats prévus — en près de deux heures. Les portions qui furent servies s’apparentaient, pour chaque met, à un plat de résistance voulant donner l’impression que “plus” est “mieux”. C’est un peu dommage, à ce point que nous nous sommes posés la question de savoir comment nous allions faire pour déguster la suite … Pour un voyage gastronomique tel qu’il était proposé, il aurait été certainement plus judicieux de réduire fortement les portions.

Jusqu’à présent, le service s’apparentait à une orchestration parfaitement réalisée et assez dynamique, quand tout à coup nous eûmes l’impression être oubliés par le service. Une pause forcée, certes bienvenue dans le principe, mais qui s’éternisa, s’éternisa, s’éternisa… Près de trois quarts d’heure s’écoulèrent sans que rien ne se passe hormis le service d’eau plate et gazeuse. Nous avions remarqué que le restaurant principal s’était rempli entre temps. Désormais, nous spéculions sur la raison de ce “full stop” pour faire passer le temps qui nous semblait de plus en plus long. Nous ne manquions ni de vin, ni de sujets de conversation, mais nous nous sommes un peu inquiétés pour la suite du repas. Il n’était pas loin de 22 heures (nous étions arrivés un peu avant 19 heures) et avions encore devant nous un pigeon dans sa croûte et notre fameux tournedos, suivi de deux desserts. Nous nous sommes dit qu’à ce train-là nous ne quitterions pas le restaurant avant minuit.

Cela était sans compter sur une nouvelle surprise : vers 22 heures le chauffage se coupa net ! En un rien de temps notre salle séparée, dont nous n’étions plus que les seuls occupants, se mit à se transformer en véritable chambre froide.

Bien entendu, nous avons immédiatement informé le personnel qui proposa soit de nous amener nos manteaux … soit des couvertures. Complètement surréaliste ! On se serait crû sur une terrasse en bord de mer à la fin août, où les nuits rafraîchissent rapidement. Mais là nous étions bel et bien dans un restaurant, en salle. Voyant notre réaction suite à cette proposition plus que surprenante, un membre du personnel nous dit : “Je m’en occupe !”. Tout n’était pas perdu. Le plat suivant, le pigeon, fut servi dans l’espoir d’une remontée rapide de la température ambiante. Il était plus que dommage que notre attention n’était plus du tout portée sur le plat, mais plus exactement à essayer de percevoir si le chauffage avait repris de sa vigueur ou pas. Le pigeon n’avait sûrement pas mérité cela. Après une dizaine de minutes, nous décidions de quitter cette salle dont la température restait manifestement en deçà de nos attentes.

Nous prenions les devants et informions le personnel que nous irions nous réfugier dans la salle du restaurant principal. Aussitôt une table fut dressée à cet effet. La température ne cette salle ne nous parue pas beaucoup plus élevée, mais il y avait plus de monde …

Après ce déménagement, il restait encore la pièce maîtresse du repas, le Plat pour lequel nous étions venu tout spécialement, le tournedos Rossini.

Un peu de patience encore, puis le tournedos fit soudainement son apparition. Comme tout bon critique culinaire, nous observions d’abord le “visuel” : une tranche surdimensionnée de foie gras sur laquelle se trouvaient deux minuscules rondelles de truffe. Le tournedos lui-même placé au centre avec comme unique décoration et accompagnement 6 asperges vertes faisant le tour de l’assiette en forme d’octogone. À dire vrai… aucun dressage digne de ce nom. Un petit gratin dauphinois truffé ou des pommes allumette auraient été très bien… Avis au Chef. À ce stade, quelle déception… et la suite ne fit qu’empirer : un foie gras et une truffe sans saveurs, un filet de bœuf filandreux et à point, alors que nous avions précisé une cuisson “medium rare”. On est à mille lieues du filet de bœuf « dry aged » servi par le Chef Rouville et son épouse à Saumur que nous avions dégusté cet été. Une viande d’une qualité exceptionnelle, préparée à la perfection, absolument inégalée. Deux mondes.

La clef de voûte de l’édifice déjà bien bancal venait de s’écrouler, emportant avec elle tout espoir de satisfaction. Pourtant, un tournedos Rossini digne de nom nous aurait permis d’effacer en un clin d’œil toutes les imperfections que nous avions vues défiler au cours de la soirée. Nous en informions le service qui promit de faire le retour en cuisine. Retour de la cuisine : “Il est difficile de trouver des truffes avec plus de goût”. Ah bon ?

Bien que déçu par tous ces événements, j’avais néanmoins remarqué durant le service qu’un serveur ajoutait à chaque plat servi deux ou trois mots bien choisis en français. Je trouvais cela plutôt sympathique et décidais donc de lui demander en bon français, s’il venait de France ? Et là … mille sabords, tonnerre de Brest, sa réponse fut à peu de choses près “euh … petit … petit”. La douche froide. Je m’en voulais déjà de lui avoir posé la question. Sa collègue, se rendant compte du ridicule de la situation, vint à sa rescousse et nous expliqua qu’il ne connaissait que quelques mots de français. Mais pourquoi diable ce niveau de zèle ? Comme si servir des plats traditionnels de la cuisine française, dans un restaurant en Allemagne, en ajoutant çà et là des mots de français, allait rendre la cuisine plus française ?

Pour finir sur une note plus optimiste, les deux desserts qui suivirent, furent, à peu de chose près, tout simplement parfaits. Ils étaient légers (heureusement) et très bien réussis. Outre les desserts, nous retiendrons les quenelles de brochet et les cuisses de grenouille (qui me rappelaient ma jeunesse). L’anguille fut la découverte de la soirée, à notre grande surprise.

Globalement, ce sera un sentiment de déception qui l’emportera, aussi bien sur le service que sur la cuisine. Beaucoup trop d’imperfections pour un étoilé Michelin.